Comme tous les matins, Calli se levait encore ensommeillée. Comme tous les matins, elle descendait dans la Grande Salle pour prendre son petit-déjeuner en traînant les pieds, manquant encore une fois de se casser proprement la figure dans les escaliers. Et comme tous les matins, elle attrapait le premier truc à grignoter qui passait à sa portée, le nez fourré dans un roman, le tout accompagné d’un verre de jus de citrouille. Le goût un peu particulier de ce dernier lui fit légèrement froncer le nez sans pour autant l’alerter, bien trop prise qu’elle était dans l’histoire qu’elle lisait pour au moins la millième fois, même si le livre était tout ce qu’il y a de plus neuf, l’ayant racheté à cette époque pour éviter une quelconque anachronie. Il ne fallut pas attendre très longtemps avant que son estomac se mette à gargouiller, se tordant dans tous les sens pour se défaire de ce qui le dérangeait. Aurait-elle malencontreusement mangé quelque chose qu’elle aurait mieux fait d’éviter, comme il lui arrivait de temps en temps de par sa trop grande inattention ? Ou était-ce ce fichu jus de citrouille au goût étrange ? Elle n’en savait rien et n’avait visiblement pas le temps de s’appesantir sur le sujet qu’elle se retrouva à foncer aux toilettes se situant à l’étage de son cours suivant.

Elle se pensait seule dans ces lieux, la vérité la rattrapant lorsqu’une injure lancée d’une petite voix aiguë retentit, la curiosité la poussant à ouvrir la porte de la cabine afin d’y passer la tête, le reste suivant de près tandis que ses grands yeux écarquillés à l’image de ceux d’une chouette viraient sur sa gauche.
Et quel spectacle inattendu que de voir un petit garçon pas plus haut que son nombril semant des vêtements dix fois trop grands derrière lui alors qu’il se dirigeait vers les lavabos en vociférant et tapant du pied. La surprise la figea sur place alors que ses pupilles aux couleurs de l’écorce s’encraient dans les lacs vert d’eau du plus petit qui s’approchait qui l’interpelait. Son regard se détacha du visage poupin pour passer en revue le haut de l’uniforme qu’il portait, accrochant la cravate verte et argent et l’écusson assorti. Serpentard. Évidemment. Qu’avait-elle fait à l’Univers pour que ce genre de chose tombe sur elle ? Lui avoir conféré une titanesque maladresse n’était pas suffisant, il fallait lui ajouter la colère d’un Serpentard dont la taille actuelle frôlait celle d’un Hobbit en prime. Vert et argent qui s’étalait à ses pieds au même instant, causant un élan spontanée de Calliopée au-devant de lui pour l’aider à se relever. Les paroles du Vert et Argent, certainement causées par l’humiliation qu’il avait ressenti, stoppant net son geste de bonté instantané.

Silencieuse. Elle était demeurée silencieuse tout du long. L’étonnement et l’étrangeté de la situation l’ayant bien trop accaparée dans ses pensées et la contemplation du phénomène. Mais là, elle en avait marre. Elle n’avait pas assez dormi cette nuit pour être en forme, les soubresauts de son estomac venaient à peine de se calmer, qu’elle se faisait enguirlander dans les toilettes du troisième étage par un gnome mal luné. Ses sourcils se froncèrent au-dessus de ses paupières plissées qui ne laissaient désormais entrevoir que deux billes chocolat dardant des éclairs dans la direction de son homologue.

« Le calmar géant n’est pas seul dans le lac ! Il y a plein de strangulots et une peuplade de sirènes qui y résident ! » lui répondit-elle avec véhémence. Puis un blanc. Pourquoi ? Pourquoi était-ce la seule chose qui était sortie de sa bouche ? Pourquoi celle-ci et son cerveau ne pouvaient-ils pas être en total adéquation pour une fois ? Fallait-il vraiment que sa maladresse s’étende jusque-là ? La petite blonde poussa un long soupir en baissant la tête, sa petite main pâle se portant irrémédiablement à son front, ses doigts fins massant l’arrête de son nez, sentant le mal de crâne pointer alors qu’un épais voile carmin commencer à s’étendre sur ses joues, tâchant la pointe de ses oreilles.

L’index de sa main gauche s’éleva lentement dans les airs sans le regarder.
« J’ai rien à voir dans cette histoire. Pourquoi irais-je te jouer un tour pareil alors qu’on s’connait même pas ? C’est absurde… » Elle laissa retomber mollement sa main contre son flanc, laissant divaguer son regard sur la petite silhouette dépenaillée. Un Serpentard, d’accord. Mais lequel ? Au vu de la taille de son uniforme, il était potentiellement de son année. Elle pouvait rayer Scorpius et Albus de la liste très facilement et pour plusieurs raisons. Mulciber et Rosier aussi : bien qu’elle ne les connaissait que de vues et de très loin, ce n’était certainement pas la bonne couleur de cheveux. Et cela ne pouvait pas non plus être Snape, il y avait des incidences physionomiques qui ne trompaient pas, tel que son nez ou ses pupilles d’obsidiennes. Si elle cherchait un peu plus loin, elle aurait pu songer au petit frère de Sirius mais ça la surprendrait grandement que le jeune Black use d’un tel langage. Alors il ne restait plus que…

« Barty Croupton Jr ? » Une grimace de stupéfaction se peignit sur ses traits, son corps imprimant un mouvement de recul automatique avant de se raviser de lui-même. Après tout, n’était-ce pas le plus beau Riddikulus que la vie elle-même ait pu imaginer ? La Gryffondor jaugea du regard le petit être bien trop adorable pour paraître menaçant en face d’elle, lui donnant l’impression de voir un Yorkshire aboyer après un Saint-Bernard. Malheureusement pour elle, encore, il fallait que ses lèvres s’articulent plus vivement que sa pensée. « C’est dommage. Tu étais presque mignon avant d’ouvrir la bouche. »

‘Adorable‘. Ce fut le seul mot qui lui traversa l’esprit lorsqu’elle vit le petit Barty se frotter les yeux en se décrochant la mâchoire sous un coup de fatigue. Et ce n’était certainement pas CE mot qu’elle aurait accolé à son nom si on lui avait parlé de lui à cette époque et encore moins quand on lui avait raconté ses exploits à la sienne. Mais personne ne lui poserait la question et elle n’allait certainement pas le dire à qui que ce soit. On allait la prendre pour une folle et c’était déjà plus ou moins le cas. Pas que ça la dérangeait vraiment cela dit.

Elle était déjà repartie dans ses tourbillonnantes pensées lorsque la voix fluette et acide du garçonnet qu’était devenu le Serpentard retentit à nouveau et visiblement, il n’avait pas apprécié son semblant de compliment. Elle tenta tant bien que mal de conserver un peu de sérieux, se pinçant les lèvres pour garder la bouche close, se mordant l’intérieur de la joue pour se retenir de dire une parole, une phrase, qui allait potentiellement envenimer les choses au vu du caractère apparemment volcanique de Croupton. Et si elle put s’empêcher de réagir plus que par un regard pétillant d’amusement pendant une poignée de secondes, elle ne put contenir plus longtemps l’hilarité irrépressible qui la saisit alors qu’il lui tournait le dos pour fouiller dans la poche de son pantalon traînant lamentablement sur le sol froid des toilettes, son fou rire se répercutant en écho sonore sur les parois de pierre, allant jusqu’à faire perler quelques larmes sur le bord dentelé de ses épais cils bruns.

« Deux Serpentards qui me disent que je suis jolie en si peu de temps ? C’est à noter dans les annales. » Ça lui fut difficile de se calmer et de retrouver un simulacre de sérieux, sa respiration étant entrecoupée de hoquets rieurs et de gloussements. « Je peux te poser une question ? » Puis elle enchaîna sans attendre sa réponse, ne s’attendant même pas à ce qu’il lui réponde de toute façon. Ni à celle-ci, ni à la suivante. Ou pas autrement qu’avec encore plus de menaces basées sur le calamar géant et elle commençait à trouver ça redondant. « Tu juges toujours les gens aussi durement sur une première impression même si celle-ci est erronée ou tu reproduis seulement avec les autres ce qu’ils font avec toi ? » Pas que sa réponse allait changer quoique ce soit maintenant, mais il était tout de même plus simple de le demander au halfelin qu’il était à l’heure actuelle que de le confronter alors qu’il mesurait plus d’une tête et demie qu’elle, à vu de nez, en temps normal. Et puis, elle le savait, tout le monde évitait de répondre à cette question. Non pas parce qu’elle était bizarre, mais parce qu’ils étaient hypocrites. Toujours à vouloir qu’on les voit pour ce qu’ils étaient lorsqu’ils n’étaient pas foutu d’agir comme ils voudraient que les autres le fassent.

Ses grands yeux ambrés se posèrent sur le dos du vert et argent tremblotant dans ce qui lui restait de vêtements, soit une chemise et un pull. Pour ou contre. Est-ce qu’elle l’aidait au risque d’être remerciée par la hargne du lutin diabolique ou le laissait-elle se débrouiller au risque que cela dégénère ? Et avant tout, est-ce qu’il pouvait utiliser la magie dans son état actuel ? Elle n’en avait aucune idée mais vu l’état de somnolence dans lequel le brun se trouvait, il y avait fort à parier que si son mental était resté celui d’un adolescent de 16 ans, ce n’était pas le cas de tout le reste. Et si sa malchance s’avérait être contagieuse ? Elle était courageuse, mais pas téméraire. Elle ne parierait pas là-dessus.

Alors elle s’avança de deux pas, gardant une certaine distance de sécurité avec la teigne qu’elle avait pour compagnon d’infortune et sortit sa baguette qui logeait en permanence dans un holster à l’intérieur de sa manche - cadeau de son père lors de son entrée en cinquième année - effectuant un simple mouvement du poignet pour rétrécir le pantalon, les sous-vêtements sur lesquels elle ne posa même pas ses prunelles, les chaussettes et les chaussures du Serpent à une taille un peu plus adéquate, laissant son pull et sa chemise intouchés pour le moment. Un peu de pudeur tout de même. Ce n’était sûrement pas parfait, elle gérait mal les distances et la perception des objets depuis sa chute d’un arbre quand elle était aussi petite que Barty en ce moment, mais c’était mieux que de continuer à se geler les fesses dans une pièce qui ne disposait d’aucun moyen de chauffage. Puis ce fut à son tour de lui tourner le dos, allant s’appuyer contre le chambranle de la cabine dont elle était sortie une dizaine de minutes auparavant.

« Je m’occuperais de rétrécir ton pull et ta chemise après que tu aies enfilé le reste. »

Rah. Elle était vraiment trop gentille. Ça la perdrait sûrement, un jour.