Un ami pour la vie - ft. Severus

Un ami pour la vie

Un éclair rouge fila dans les airs et s’écrasa contre le mur, non loin d'une armure au regard vide, faisant luire son plastron d'écarlate. La précision était à revoir, Mulciber grimaça de frustration. Un grimoire traînait à même le sol, ouvert sur une double page illustrée d’un sortilège de deuxième année, alors que le jeune garçon faisait face à son adversaire du jour : un ours en peluche rapiécé armé d'une baguette - ou, du moins, d'un bâton solidement nouée à sa petite patte poilue qui jouait le rôle d'une baguette. Rowan n'avait pas trouvé mieux pour s'entrainer... Personne ne lui parlait vraiment, sauf Avery. Mais Avery ne pouvait pas comprendre, Rowan devait faire ça seul.

Être Rowan Mulciber n’était pas une chose aisée. Les onze premières années de son existence furent d’une douce félicité en comparaison de sa scolarité à Poudlard. Malgré un père strict et glacial aux principes moraux assez questionnables, Rowan fut choyé par sa mère et dorloté dans un petit cocon de soie. Il rêvait de Poudlard, comme n’importe quel enfant sorcier, et s’imaginait un lieu enchanté et enchanteur. Il avait beaucoup d’attentes, et ses parents l'avaient préparé à rejoindre Serpentard et les autres familles de sang pur.

Qu’est-ce qu’il avait hâte !
Qu’est-ce qu’il avait été déçu.

Il se pensait égal de ses pairs, il s’adressait à eux comme à des amis ou à des frères, mais les belles paroles de ses parents n’étaient que des œillères, et papa maman semblaient tout aussi aveugles que lui. Ou dans le déni. Si l’hypocrisie et les rires furent les principales réponses de ses camarades de classe, des moqueries sous-jacentes finirent par frapper le jeune garçon et il réalisa l’horreur de sa situation.

Il s’était fourvoyé, il n’était pas comme eux.
Ils lui avaient dit. Il n'était pas de sang pur.

Les mots de sa chère mère résonnaient encore dans son esprit, ils l’avaient davantage marqué que la gifle de son paternel lorsqu'il avait partagé ses doutes et ses craintes. Le rouge sur sa joue s’était évanoui, mais la voix de Winona Mulciber resterait à jamais au fond de son cœur. Venge toi.

Rowan repoussa le grimoire du pied et se mit en garde. Il desserra d’un geste rageur la cravate qui lui donnait l’impression d’étouffer, remonta ses manches et chassa les mèches cuivrées qui tombaient devant ses yeux. Sa main gauche tendue vers sa cible, il leva son autre main armée au-dessus de sa tête. Le jeune garçon prit une grande inspiration. Son estomac gargouilla de protestation à cet instant précis, mais Rowan resserra sa prise sur sa baguette rouge et noire. Sa décision était prise ; il n’irait pas manger tant qu’il n’aurait pas réussi ce fichu sortilège.

Il fit un pas en avant, abaissa sa baguette.

« Expelliarmus ! »

L’éclair rouge vif manqua à nouveau sa cible. Il ricocha sur l'armure postée dans le couloir et revint dangereusement vers le jeune Serpentard. Rowan ne fut pas assez rapide pour esquiver, le sortilège frappa sa main et il lâcha sa baguette dans un pathétique couinement de douleur.

Seul point positif : le sort fonctionnait.  

Il alla récupérer sa baguette et retourna à sa place. Venge toi, avait dit sa mère. Tu es un Mulciber, tu es mon fils ; personne n'a le droit de te prendre de haut. Depuis ce jour, il avait cessé de chouiner et il s'était mis en quête de puissance. Il se l'était promis, plus jamais on ne se moquerait de lui. Plus jamais.

« Expelliarmus !! »

Enfin, le sortilège frappa l'ours en peluche de plein fouet et sa baguette de fortune voltigea dans les air. Mulciber afficha un sourire ravi.

Peu importe s'il était seul, désormais, ce serait lui qui s’en prendrait aux autres.

(Dans un couloir sombre - Poudlard - 05.03.1972)

Un ami pour la vie

Une voix résonna dans son dos et quelle ne fut pas sa stupéfaction en découvrant le visage du garçon derrière lui. Ils avaient le même âge, étaient dans la même maison, mais ils ne se parlaient guère. Ayant bonne mémoire des noms et des visages - quand bien même son arrogance future lui fera oublier ce genre de détails - il reconnut aussitôt Severus Snape, fils d'un moldu inconnu et inintéressant et d'une dame de la famille Prince.

Ceux-là, Rowan les connaissait. Pendant des heures, Mère lui avait fait apprendre les noms de chacun des membres des familles importantes, leurs blasons et leur histoire. Leur importance, aussi. Niveau pureté du sang, les Prince se trouvaient au-dessus, mais Père aimait le répéter, les Mulciber étaient meilleurs que tous. Et plus riches. Comme si cela suffisait.

Rowan observa en silence le petit garçon crâneur qui osait lui faire la leçon et qui, comble de l'exaspération, maîtrisait bien mieux que lui ce sortilège de deuxième année. Comment avait-il fait ? Comment était-ce seulement possible !? Au fond de lui, le fiston Mulciber fut impressionné. Mais son ego blessé et la vexation qui serrait son cœur l’aveuglaient et l'empêchaient de formuler un quelconque compliment. Son regard noisette détailla le visage blafard de l’autre garçon, et il fronça les sourcils. Si ses yeux avaient pu jeter des éclairs, il aurait foudroyé ce sale gamin isolent.

« Si tu es là pour me faire la morale, tu peux partir. » Il se détourna avant la fin de sa phrase. « J’ai déjà mon père pour ça. »

Le menton haut et fier malgré un air bougon, il traversa le couloir pour rejoindre son médiocre adversaire pelucheux. Il ramassa la fausse baguette et la fixa à nouveau à la patte de l’ours. Le pauvre jouet en avait vu des vertes et des pas mûres, depuis quelques mois, il avait été reconverti en assistant et subissait tout un tas de sorts destinés aux adversaires de Rowan. Les flammes avaient endommagé son oreille gauche, son œil droit pendait au bout d'un fil et, ici et là, la peluche portait les traces d'anciens affrontements.

Toujours dos à l’autre garçon, le fils Mulciber s’autorisa un soupir et baissa les yeux. Du bout des doigts, il caressa la joue de l’ours en peluche, qui était autant son défouloir que son confident, autant un adversaire qu’un ami des plus sincères. Il se mordit la lèvre inférieure, et il céda.

« Ce n’est pas facile d’être patient quand on est toujours en colère... » Il se releva et fit à nouveau face à Severus Snape, retrouvant son assurance de façade. « Je n’ai pas le temps d’attendre, il faut que je sois fort maintenant. »

(Dans un couloir sombre - Poudlard - 05.03.1972)

Il pensait sincèrement impressionner le garçon par son talent d’expelliarmus, si on peut dire que c’est un talent ; à force de suivre Mulciber partout en essayant de rester discrètement à le regarder faire, ça lui a donné envie de faire pareil. Un sort de désarmement, il lui sera très utile en cas de combat, et il pourrait l’apprendre à Lily pour qu’elle se protège. Severus perd tout son sourire quand il se fait honteusement rejeté ; « Si tu es là pour me faire la morale, tu peux partir. » Le Prince émit un petit grognement hautain avant de lui répondre avec dédain.

« C’était un conseil. Judicieux, même. Fait donc, montre-moi comment tu aurais fait dans ce cas-là. »

« J’ai déjà mon père pour ça. » Tiens. Lui aussi a des relations conflictuelles avec son père. Son agacement fut immédiatement balayé, il compatit pour ce garçon aux bouclettes rousses, les pères qui sont décevants font partie de son quotidien.

Le brun suit du regard Rowan qui est partie récupérer la fausse baguette pour la remettre à sa place. Il croisa les bras, l’air fâché, mais intérieurement curieux de ce qu’il compte faire, il savait pertinemment qu’il avait raison ; la colère ne marche pas sur certains sorts. Expelliarmus demande une certaine concentration, il faut viser précisément la main (à l’occurrence, ici, la patte de la peluche) et ne pas se laisser déborder dans des sentiments d’impulsivité. Les prochaines paroles du garçon l’interpellent : Ce n’est pas facile d’être patient quand on est toujours en colère. Il en est on ne peut plus d’accord avec lui.  Lors de ses stalking quotidienne, il avait bien vu la colère du roux lors de ses sortilèges de feu. Comment un élève de deuxième année arrive, avec aisance, à maitriser le sort bombarda alors que lui-même, il peinait à faire un incendio correcte ?  

« Tu sais, je t’ai vu plusieurs fois à utiliser des sortilèges de feu pour calmer ta colère… tu es très doué. Je préfère les sorts plus discrets, plus sournoise, on va dire… » Et il en faut pour se défendre contre Potter et sa clique. Lui aussi, il avait besoin d’être fort, là toute suite, imposer sa force devant Potter, pour l’instant, il n'en mène pas large.

« Moi aussi, je dois être fort, il faut que je connaisse tous les sorts qui existent. »

Severus affiche un petit sourire, ses intentions sont très peu louables en réalité, mais il n’en avait pas encore conscient qu’il n’avait pas besoin d’être le plus fort et d’être le plus impressionnant pour chambouler le cœur de sa belle rousse.

Un ami pour la vie

Un conseil judicieux, qu'il disait. L'autre garçon continuait de se croire meilleur que lui et étalait sa science. Lui tourant le dos, Rowan préféra lever les yeux au ciel et l'ignorer. Il n'avait pas de temps à perdre avec des sales gosses de son espèce. Fixant la pauvre peluche, le petit rouquin se perdit dans les méandres de ses pensées. Il navigua au milieu de ses réflexions un certain temps jusqu'à ce que la voix de Severus ne le ramène sur la rive. Finalement, il se détourna et se rapprocha du garçon.

Celui-ci eut enfin les bonnes paroles et flatta sans s'en rendre compte l'ego du petit rouquin solitaire. Il était très doué, voilà ce que Severus avait dit sur lui ! Il se redressa un peu, fier comme un paon, et réprima tant bien que mal un sourire trop ravi. Surtout que l'autre Serpentard soulevait un point intéressant : selon lui, Rowan utilisait des sortilèges de feu pour calmer sa colère... Il n'y avait jamais pensé. Cela lui était venu naturellement, comme manger, comme respirer. Il y avait quelque chose de beau et de véritablement magique dans les flammes. Rowan les trouvait splendides. Il les adorait.

« Les flammes sont belles. Personne ne les aime parce qu'ils ont peur d'elles. Moi, je les comprends. »

Cette pulsion ardente, cette envie dévorante de semer chaos et destruction sur son passage. Ces flammes brûlantes qui animent son cœur et le font vivre, qu'elles vibrent de passion ou qu’elles rugissent de colère. Et, aussi, cette douce chaleur qu’elles procurent quand elles sont apaisées. Tout cela, il le comprenait. C'était lui.

Il détailla à nouveau le garçon aux cheveux noirs et esquissa un sourire. Severus Snape n'avait pas honte de lui avouer qu'il préférait les attaques sournoises à une véritable confrontation et qu'il souhaitait apprendre tous les sorts du monde, comme lui, pour être fort. Une question germa alors dans les pensées de Mulciber. Quel était cet ennemi que le petit Serpentard en face de lui souhaitait abattre ? Il en fallait bien un pour vouloir apprendre la totalité des sortilèges connus. Un enfant de onze ou douze ans n'a pas d'ennemis, normalement. Ça l'intriguait. Cette détermination faisait écho à la sienne et son sourire se fit plus présent.

« Ça me plait bien. »

Il coinça sa baguette dans sa ceinture pour poser ses mains sur ses hanches. L'air fier et amusé, il hocha la tête à l'affirmative : il venait d'avoir une idée.

« Si tu m'aides pour les sorts plus discrets et ceux de défense comme Expelliarmus, moi, je t'apprendrais à combattre pour de vrai et à dompter les flammes. »

Il lui tendit sa main, paume vers le ciel, un franc sourire aux lèvres.

« Ça te dit ? »

(Dans un couloir sombre - Poudlard - 05.03.1972)

Un ami pour la vie

Quelle joie que celle qui envahit son cœur à cette poignée de main ! Rowan ne put cacher toute l'émotion qui naissait au fond de lui et son visage s'illumina d'un sourire radieux. Cette victoire était et serait la plus belle de son existence, pendant de longues années. Le soleil se fraya un chemin parmi les nuages à cette instant précis, se joignant à leur promesse. Les iris noisettes du garçon à la chevelure de feu brillèrent autant sous les rayons de l'astre solaire que de joie. Il plissa pourtant les yeux, la lumière qui jaillissait de derrière Severus l'éblouissait un peu... Et elle éclairait le garçon en face de lui d'une étrange façon. A contre jour, les rayons du soleil semblaient étinceler autour de lui, un peu comme les auréoles sacrées de ces figures angéliques des moldus... Oui, c'était ça. Un ange. Un ami que le ciel lui envoyait.  

Quand Severus le lâcha enfin, Rowan baissa les yeux vers la paume de sa main, intrigué. L'autre garçon avait les doigts froids, pourtant, c'était chaleureux d'avoir sa main dans sa sienne. A présent qu'elle n'y était plus, une étrange chaleur demeurait nichée au creux de sa paume, entre la ligne de vie et celle du cœur. Il referma sa main comme pour l'y garder à jamais.

Rowan releva les yeux vers le petit brun, sa voix l'avait chassé hors de ses pensées.

« D'accord ! »

La précision était quelque chose qui lui manquait. Les sorts aux larges zones d'impact, il les maitrisait sans mal : l'important n'étant pas d'être précis, mais dévastateur. Dès qu'il fallait y aller avec un peu plus de subtilité et de précision, les lacunes du jeune Mulciber se faisaient ressentir. Il acquiesça donc l'idée de Severus et récupéra sa baguette dans sa main encore chaude, comme si cet étrange pouvoir allait l'aider. Il laissa alors le jeune garçon s'exécuter et le suivit du regard le temps qu'il aille faire cette fameuse croix rouge sur la patte de l'ourson.

Rowan ne tenait pas en place. Se dandinant d'un pied sur l'autre, il triturait sa baguette entre ses doigts... Il hésitait. En début d'année, il avait tenté avec toute sa maladresse d'enfant de se rapprocher des autres sang pur pour se présenter et être amis avec eux. Il s'y était mal pris et les autres avaient été infectes, le rabaissant pour son statut, parce que sa famille n'était pas inscrite dans le registre Nott. Père disait que Nott était un vendu, mais Rowan ne comprenait pas. Si ce n'était qu'une question de gallions, les Mulciber avaient bien assez d'argent pour l'acheter... Les querelles sont vieilles, avait rétorqué Mère. Cela ne l'avait pas aidé, et les autres ne voulaient pas de lui. Malgré leur promesse, Rowan ne pouvait s'empêcher de se dire que Severus serait pareil... Il secoua la tête à la négative. Avery avait bien dit que les Snape n'étaient pas des sorciers. Donc Severus n'était pas comme les autres. Il était comme lui. A sa manière.

Finalement, il osa.

« Tu viens d'où, toi ? » La question était d'une innocente curiosité. Rowan bomba malgré tout le torse pour faire étalage de ses propres richesses. Dans son monde, cela fonctionnait ainsi : étaler ses biens pour attirer la convoitise et l'intérêt des autres. « Moi je viens de York. Nous avons immense manoir caché à la vue des moldus non loin de la ville, je n'en sors pas beaucoup... Père est dans les finances, je crois, un travail ennuyeux. »  

Il attendit que Severus lui réponde et qu'il revienne vers lui pour se remettre en place face à la peluche. Un peu en biais - être de face l'exposait trop aux sortilèges de son adversaire - il leva sa baguette au dessus de lui et tendit sa main libre vers sa cible. L'index tendu, il essayait de faire coincider le bout de son doigt avec la croix rouge. Mais son bras bougeait sans cesse.

« Comme ça ? » Il ferma un œil pour améliorer sa visée. « Et après ? Comment fait-on pour viser ? »