Tu vas où, là ?

Ah, le rôle de Préfète. Je le suis depuis l'an dernier, et si on omet la petite soirée du nouvel an, je suis heureuse de dire que je suis une préfère très sérieuse. Faut dire aussi que les quelques avantages qui nous sont alloués sont assez agréables : wagon dans le train, salle de bains privative, rondes de nuit dans le château endormi, et le petit insigne ! Celui qui montre notre rôle, qui provoque le respect, qui dissuade.

Alors bien sûr, les Maraudeurs ont déjà essayé, en passant par Remus, de me soudoyer pour les laisser passer, pour fermer les yeux sur certains de leurs agissements. Et en bonne Préfère intègre, je l'ai catégoriquement refusé, et leur ai dit de ne plus m'en parler. La vérité, c'est que c'est plus simple pour moi de faire comme si j'avais rien vu quand je ne suis pas au courant à l'avance.

Bon, après, je leur laisse pas de passe-droit non plus hein. Ca m'est déjà arrivé de les réprimander, quand même. C'est sans doute pour ça que j'ai le statut de rabat-joie du groupe, d'ailleurs. Ils ne savent pas le nombre de fois où j'ai tourné les yeux en les voyant arriver au bout du couloir, et eux se croyaient très discrets. J'en suis pas très fière, mais il m'est même déjà arrivé de détourner volontairement l'attention de mon binôme, pour qu'ils ne se fassent pas prendre.

C'est pas dans mon intérêt, qu'ils se fassent prendre ! On perdrait des points, et nos chances de gagner la Coupe des Quatre Maisons seraient quasi-nulles. Et puis, je sais que parfois, il faut permettre à Rems de sortir sans se faire voir. Même si le Directeur est au courant, les autres Préfets ne savent rien de sa eum condition. On perdrait un temps précieux à discutailler et aller voir le Professeur Dumbledore.

J'agis dans l'ombre. C'est mon super-pouvoir. Je leur dirai peut-être quand on sera adultes.

Ces rondes nocturnes me permettent aussi de réfléchir. Le plus souvent, je pense à mes cours, je me récite ce que je dois apprendre. Je ne suis jamais très sociable la nuit. Mes binômes ne doivent jamais être très heureux quand ils me voient arriver. Je sais qu'ils préfèrent discuter, et je fais l'effort, souvent en début de ronde. Mais rapidement je me renferme. Pas de temps perdu.

Ce soir c'est différent. Après le Bal de la Saint-Valentin, j'ai d'autres choses en tête. Et pour ne pas y penser, j'ai fait la conversation à mon binôme tout au long de la ronde, de la Tour d'Astronomie au passage menant aux cuisines. Il a d'ailleurs refusé que je l'accompagne jusqu'à sa salle commune. Avec un signe de main dans sa direction, j'ai pris les escaliers. Les sept étages à grimper m'ont laissé une fenêtre que je ne souhaitais pas.

Une douce chaleur s'installe en moi, alors que je repense aux événements de cette soirée. Quand je repense à ces visages. Je suis bien incapable de mettre le doigt sur ce que je ressens. C'est peut-être ça, grandir ? Ressentir une certaine jalousie, une certaine envie aussi, une chaleur agréable. La volonté d'enlacer. Celle de frapper pour faire comprendre. Celle aussi de me gifler pour n'avoir pas compris avant.

Je soupire en arrivant devant le tableau de la Grosse Dame. Normalement mes camarades dorment depuis un moment, les feux ayant été coupés il y a de cela plusieurs heures. Je chuchote le mot de passe à une Grosse Dame énervée que je la réveille à cette heure tardive, mais qui m'ouvre malgré tout quand j'ai tapoté du bout de ma baguette l'insigne à ma poitrine.

J'entre dans la salle commune en silence, et vais m'installer sur un canapé pour lire, comme je le fais d'habitude, jusqu'à ce que mes paupières se ferment, moment où j'irai me coucher. C'est parfois compliqué de retrouver le sommeil quand on a été réveillés pour aller patrouiller dans les couloirs. Je ne veux surtout pas réveiller mes camarades de dortoir. Je me couche sur le dos, un plaid sur les jambes, un livre au-dessus de la tête.

Et j'aime cette ambiance feutrée de la nuit. J'adore mes camarades, et j'aime beaucoup discuter avec eux, mais savoir que je vais pouvoir lire, prendre le temps de me concentrer sur l'histoire, ne pas être coupée dans ma phrase, dans mon chapitre, par quelqu'un qui voudrait me parler. C'est d'ailleurs pour cette raison que je réserve mes livres un peu olé-olé à ces moments-là. Je ne souhaite pas être la cible de quolibets, même si je sais que ce ne serait jamais méchant.

Je lis tranquillement, je suis calme. Pas un bruit, je suis comme invisible.

Et c'est sans doute cette invisibilité qui explique que le ou la camarade qui fait du bruit, là, ne sait pas que je suis là. On dirait quelqu'un qui descend les escaliers, et qui passe très près du dossier du canapé. Pensant être seule, cette personne ne fait pas attention à être discrète. Je la laisse donc dépasser ma cachette involontaire, avant de me redresser et de regarder qui est là.

D'un geste, j'enfonce mon livre entre les coussins du canapé. C'était exactement ce que je craignais. Je reconnaitrais ces cheveux entre mille.

Et alors James, tu vas où là ?

Je me mets en tailleur face au dossier, pour appuyer mes bras dessus et y poser mon menton. Je secoue la tête. Mes joues sont en feu, mais j'essaie de le cacher. A la lueur de la cheminée, ça ne doit pas être flagrant.

Tu devrais dormir.

C'est étrange qu'il soit seul. D'habitude, c'est tous les Maraudeurs qui sortent ensemble, de nuit. Après avoir fait comprendre ma déception à mon camarade, je lui lance un sourire et l'invite à venir s'asseoir à mes côtés en tapotant le coussin du canapé.

Viens raconter à Tata Lily ce qui va pas, Jamesie.

Peut-être que, seuls, on pourra discuter de notre relation un peu bizarre. Peut-être que je pourrais lui dire ce que j'ai dit à Sirius. A moins qu'il ait déjà tout balancé à son bro.

Je pouffe presque de rire en voyant la surprise dans les yeux de notre attrapeur. Je le regarde à la lueur de la cheminée, et c'est vrai que mon cœur rate un battement à cet air décontracté, presque je-m'en-foutiste qu'on lui connaît si bien. Cet air qu'il se donne, quand il veut qu'on ne voie pas ce qui se cache derrière. Je ne m'empêche pas de sourire en penchant la tête sur le côté.

Notre relation fait qu'il ne se cache même pas de vouloir sortir en douce de la salle commune, après le couvre-feu, pour aller s'entraîner sur le terrain de Quidditch, fermé, j'imagine sur son balai, en pleine nuit. Au moins trois infractions au règlement ... Son sourire me fait comme tout chaud au creux de l'estomac et je me gifle mentalement. C'est plus le moment, Lily.

Je le vois hésiter à s'installer près de moi. On n'a jamais été des plus proches. Marlene a Sirius et j'ai Remus. Mais James m'a toujours fascinée. Il a le côté désinvolte de Sirius, sans aucun doute, mais il s'est déjà joint à Rems et moi pour travailler. C'est ça que je veux dire quand je parle d'un air décontracté : entre sa volonté de rester à flot en cours et sa capacité à assimiler des stratégies  au Quidditch, James Potter est loin d'être empoté.

Il finit par céder et je me tourne pour être en tailleur sur le canapé, un genou près du dossier, l'autre dans le vide. Ca permettra plus de proximité, d'être face à face, plutôt qu'à côté l'un de l'autre. Pour une fois, je n'ai pas de biscuits à grignoter. Dommage, ç'aurait été un bon brise-glace.

Je regarde mon ami raviver la flamme de la cheminée, son visage baignant dans la lueur orangeâtre. Si je savais dessiner, c'est comme ça que je voudrais le coucher sur le papier.

Sa question me fait rire. Je secoue la tête, pose mon bras sur le dossier et y appuie ma joue, pour que nos regards soient à la même hauteur.

Je sais pas si ça l'est pour les autres, mais pour moi oui.

Un petit sourire dans sa direction avant de poursuivre.

Quand y a sortie nocturne, c'est quatre paires de pieds qui font du bruit.

Je pose ma main libre sur son épaule avec un nouveau sourire.

Et depuis quelques temps, t'es encore plus bizarre qu'avant.

Je lui fais un clin d'oeil, essayant de faire en sorte que l'atmosphère soit propice à la discussion, et pas lourde. Je ne veux pas que les choses soient lourdes entre nous.

Je t'ai vu au Bal, discuter avec le frère de Sirius et regarder sa cousine.