Du Kintsugi sur notre amitié ?

Je ne sais pas ce qui m'a pris, hier. Pourquoi avoir envoyé ce hibou à Severus ? Dernièrement, je me sens mal. Est-ce dû à James qui ne me court plus après, ou à autre chose, impossible à déterminer. Tout ce que je sais, c'est que, chaque fois que mon regard se pose sur celui qui a été mon ami pendant si longtemps, à la table de nos adversaires en tout, j'ai comme une boule dans l'estomac.

Il a si souvent tenté de s'excuser pour ses terribles paroles, et je l'ai tellement souvent envoyé paître. Et malgré ça, malgré son amitié étrange et mal placée avec le pire roux de la création, le pire des Serpentard à mon avis, il m'a défendue. Il lui a cloué le bec. Il aurait pu rire, il aurait pu se joindre à Mulciber, mais il s'est levé contre lui. C'est ça qui m'a décidée à, au moins, essayer de lui parler. Au moins le remercier.

Je croque distraitement dans un toast, en réfléchissant aux trois derniers jours. J'ai pris ma décision à la fin de la punition. Je devais parler avec Severus sans que d'autres puissent nous entendre, et surtout pas Mulciber. Et surtout, je devais trouver une manière de m'excuser et de le remercier. J'ai passé la soirée qui a suivi la punition à dessiner, griffonner des sorts qui me permettraient d'accomplir ma vision. Et après trois jours, j'ai finalement réussi. C'est ce qui m'a décidée à proposer à Severus de me rejoindre aujourd'hui.

Une main sous la table, je joue avec le petit paquet. Je pose la fin de mon toast dans mon assiette et termine mon verre de jus avant de glisser le paquet dans la poche de ma cape. Je me lève, prends mon sac sur mon épaule, salue mes amis à qui je n'ai pas réellement prêté attention et sors de la Grande Salle, puis du château. J'ajuste mon bonnet sur mes oreilles, mon écharpe autour de mon cou et me dirige vers l'endroit du rendez-vous.

Il est encore temps de faire demi-tour. De lui faire croire que, tant pis, c'était une blague, et ne plus jamais y revenir. Détruire le paquet, et par la même occasion détruire toute possibilité de construire sur le chaos de notre amitié. Le laisser dériver avec ce malade de Mulciber, et dire adieu à tout ce qui est bon en Severus.

Je secoue la tête et m'assieds sur le banc. Je sors un livre, n'importe lequel, je ne veux juste pas perdre la face s'il ne vient jamais. Le froid et l'humidité du matin me piquent le nez. Je comprendrai qu'il ne vienne pas.

Qu'est-ce que j'ai fait ...

A plusieurs reprise, alors que le temps passe, je me dis que je devrais partir. Je ne sais pas combien de temps s'écoule. Peut-être seulement quelques minutes. Peut-être une heure. J'essaie de me concentrer sur mon livre, qu'est-ce que je lis déjà ? Mes pensées divaguent, vers James, vers Severus, vers Remus. Vers ce cours et ce prof horribles, que j'espère bien ne plus jamais revoir. Vers les événements récents, et ma crainte de voir les gens blessés par ce mégalomane aux idées arriérées.

C'est sûr, il ne viendra pas. Qu'est-ce qui m'est passé par la tête pour penser qu'il allait me croire ? Evidemment, à sa place je ne me serais pas crue non plus ! "C'est pas une blague, promis" mais qui dit ça ? Avec tout ça, je ne sais toujours pas quel livre j'ai entre les doigts. Allez Lily, on se concentre. Que ce temps n'ait pas été perdu, et que tu puisses dire à tes amis "oh, je lisais un livre dans le parc" sans leur mentir, quand ils te demanderont où tu étais ce matin.

Je finis par entendre une branchette craquer, mais j'ai déjà baissé les bras. Sans doute quelque élève venu prendre l'air, peut-être même faire comme moi et lire à la lumière du soleil de janvier. Je me rends compte que les pas se rapprochent de moi et je me prépare à lancer un "franchement y a plein d'autres endroits où aller, là" à celui ou celle qui vient vers mon coin tranquille. Mais la voix qui me salue me donne des frissons. Alors il est venu.

Je ferme le livre -- ah tiens, c'était Forces obscures : comment s'en protéger, comme c'est à-propos -- puis le pose sur le banc avant de lever la tête vers Severus. J'ai envie de le serrer contre moi et de le gifler à la fois. Mon coeur se serre et je ne sais pas si c'est pour une bonne ou une mauvaise raison. Je me lève, presque trop brusquement, et tente un sourire. Je suis tellement contente d'entendre sa voix et de le voir devant moi. Mais j'ai aussi l'impression de ne pas avoir réellement pu m'énerver, quand j'en avais besoin. Argh.

Bien sûr, j'ai beaucoup moins envie aujourd'hui, de m'énerver, même si ces mots sont ancrés dans mon esprit.

Salut Sev.

Je suis contente que tu sois venu ? Je voulais te remercier d'avoir pris ma défense contre ton taré de copain ? Allez, déride-toi Lily, c'est toi qui lui as demandé de venir, par les chaussettes de Merlin ! Je me tourne et enlève le livre du banc pour le ranger dans mon sac, avant de m'asseoir à nouveau et de faire un geste pour inviter mon ... invité ? à faire de même.

Je suis contente de te remercier.

Hein ? Non, pas du tout. Je sens mes joues rosir et mon coeur accélérer. Alors ça c'est du propre, bravo Lily. Je fais une moue et secoue la tête avant de soupirer.

Je sais pas pourquoi je suis si nerveuse. C'est moi qui t'ai demandé de venir. Et on se connait depuis toujours et je sais pas, peut-être qu'on a trop changé ? Je veux pas croire que t'es comme lui, alors j'y croirai pas et je te laisserai pas faire.

J'ai débité tout ça très rapidement. Je suis même pas sûre qu'il ait tout saisi, mais tant pis. J'inspire et j'expire, et je fourre ma main dans ma poche pour en sortir un écrin que je tends à Severus.

Tu n'es pas obligé d'accepter mais je ... Merci. Severus.

Dans la petite boîte noire en velours, un pendentif au bout d'une chaîne. Une petite fiole contenant un brin d'herbe de Lys des Vallées qui brille doucement. J'ai tout fait de mes propres mains. Le brin d'herbe est censé briller plus fort si le porteur est proche de quelqu'un qui lui veut du mal.

Je ne sais pas comment il va réagir à mon cadeau. Va-t-il seulement avoir une réaction ? Alors qu'il ouvre l'écrin et qu'il me remercie, je tente un sourire. Ce sourire qu'il a été le premier à apprécier, lorsque nous étions encore enfants. Sourire qu'il me rendait, à l'époque. Je sais que James et les autres ne me croiraient pas si je leur disais que Snape est souriant et volontiers blagueur.

Enfin, il était comme ça. Je le vois détourner les yeux et j'ai l'impression d'avoir fait un bêtise. D'avoir dit une connerie, peut-être. D'avoir définitivement perdu son amitié, moi qui ai mis si longtemps à comprendre qu'il ne voulait bien sûr pas dire ce qu'il a dit. Mais c'est sa réponse qui me surprend. Je ne peux pas m'empêcher d'ouvrir grands les yeux avant de les plisser et de secouer la tête, presque imperceptiblement. Ce que j'entends me déçoit.

On a peut-être réellement trop changé, tous les deux. Son explication me fait tiquer aussi, mais je me retiens de lui couper la parole. Trop de choses n'ont pas été dites. Il a le droit à la parole. Il peut dire ses vérités, même si elles me paraissent stupides et ridicules et qu'elles me donnent envie de crier.

Respire Lily, et attends patiemment. Je sens la colère me monter, comme une bête qui cherche à quitter mon estomac et sortir par ma bouche. Une sale bête, violente, méchante, et qui me donne envie de vomir, rien qu'à y penser. Jamais je n'aurais pensé pouvoir ressentir cela, et surtout pas envers Severus. Mais parce que c'est pas lui la cible de ma colère. C'est Mulciber.

Et t'admires ça ? Tu l'admires son impulsivité, sa capacité à dire ce qui lui passe par la tête sans filtre ? Tu l'admires sa facilité à m'insulter, à insulter tous les autres, aussi aisément ?

Ok, pas du tout ce que je voulais dire. Je me lève, maintenant. J'essaie de respirer mais je sens mes poings se fermer. Jamais je ne me suis vue dans cet état. Jamais je n'ai eu envie de gifler quelqu'un à ce point. Pas de méchanceté, mais pour lui faire voir ma vérité, comme j'ai écouté la sienne.

Sev, tu le dis toi-même, t'as pas réfléchi. Et ça nous a menés où, exactement ?

Une larme coule en revoyant la scène, comme si on me passait un film, ce moment en boucle. James, Sirius, derrière Remus, Severus pendu par les pieds.

Je suis censée faire quoi ? M'acoquiner avec un mec comme Mulciber, qui prend plaisir à nous faire souffrir ? C'est ton meilleur ami mais t'es sans doute son seul ami. Et tu te demandes pas pourquoi ?

Je finis par me rasseoir, même si la première chose qui m'est passée par la tête, c'est que je voulais partir. Je dois me faire violence et essayer de communiquer. Je refuse d'accepter que mon plus vieil ami, celui qui avait toujours pris ma défense, et qui a recommencé si récemment, que Severus ne comprenne pas le schéma dans lequel il se lance, à côtoyer Mulciber. J'inspire à nouveau, j'essuie les quelques larmes qui ont roulé sur mes joues.

Avec tout ce qui se passe en ce moment ... Sev, je suis sûre que les autres nés-moldus et moi, on sera les premiers visés dans cette guerre. Y a tellement de sorciers qui croient qu'on n'a pas notre place ici.

Je baisse les yeux et fixe le bout de mes chaussures alors que le monstre se rendort doucement.

Un jour tu m'as dit que la magie était exceptionnelle et qu'elle se développait chez les gens exceptionnels ... C'était du vent ?

Qu'est-il en train de se passer ? Pourquoi on n'arrive pas à communiquer ? Pourquoi il est aussi incohérent ? Pourquoi ça m'énerve autant de le voir aussi proche de cette tête de rat de Mulciber ? Pourquoi j'ai peur qu'il se rallie à ceux qui nous ont attaqués, à ce Seigneur des Ténèbres ? J'ai l'impression qu'il s'est laissé laver le cerveau par cet horrible rouquin. S'ils ne connaissaient que des roux comme lui, je comprends mieux pourquoi cette teinte de cheveux était associée au Diable.

Je peux pas m'empêcher de secouer la tête, presque dédaigneuse, quand Severus me répond. Comment ça, il est pas comme ça ? Je suis en train d'inventer peut-être ? Je les invente les insultes, les violences physiques, son exclusion après avoir attaqué Mary, simplement parce qu'elle est Née-Moldue ? Est-ce qu'on peut au moins parler sérieusement deux minutes, sans que la manipulation dont il est victime ne prenne le pas ?

La vérité, c'est que son ami est bien pire que les miens. Je ne dis pas qu'ils sont tout blancs dans l'histoire, bien sûr, et je les ai déjà réprimandés sur leur manière de s'en prendre à Severus. Même depuis que nous ne nous parlons plus, d'ailleurs. L'autre fois, je parlais autant à l'un qu'à l'autre. Mais Mulciber s'en prend sans autre raison que l'ascendance aux autres.

Si je lui en veux, c'est pas parce que c'est un soi-disant sang-pur, mais bien parce que c'est une pourriture qui se croit supérieur aux autres. Parce qu'il met des idées dans la tête des autres. Parce qu'il est aussi incapable que Sirius de se taire, mais que ce qu'il dit est infondé. Dans aucun monde, lui et moi serions compatibles. Dans aucun monde je ne le laisserais s'approcher de moi ou pire, je m'associerais à lui.

Tu parles sans arrêt de la manière dont James et les autres te tapent sur le système, t'obligent à répliquer, et tu défends Mulciber. Pire, tu te voiles la face.

Je fais les cents pas, poings fermés. Ma respiration est courte, et je sens que l'animal cherche encore et toujours à s'échapper par n'importe quel moyen. Sa porte de sortie : la violence. Je le musèle du mieux que je peux, et pour le moment il est confiné. A savoir combien de temps je vais réussir à me contenir d'exploser.

C'est comme parler à un mur. C'est facile de se plaindre tout le temps, mais quand il est question de regarder la poutre qu'on a dans l'œil, y a plus personne. Comme si son ami était capable de m'ignorer. En ce qui me concerne, je ne lui parle jamais. Comme en cours l'autre fois, personne ne lui a rien demandé quand il m'a insultée. Je secoue à nouveau la tête.

Donc tu me demandes de faire comme j'ai toujours fait : comme s'il n'existait pas. Pour ce que ça m'a valu jusqu'à maintenant ...

A nouveau assise sur le banc, je glisse mes poings sous mes cuisses. Mon cœur bat la chamade. Je me rends compte que l'homme qui est face à moi est capable de déclencher toutes sortes d'émotions en moi. J'aurais voulu qu'il me prenne contre lui pour me réconforter, mais je sais aussi que je l'aurais repoussé s'il l'avait fait.

A nouveau, je secoue la tête. Il ne comprend pas. Il ne veut pas comprendre. Que ce soit son super copain, ces gens encapuchonnés, le Seigneur des Ténèbres, tous pensent qu'on devrait mourir pour avoir développé des pouvoirs. Que c'est indigne. Peut-être qu'ils pensent qu'on l'a volée.

C'est facile de le dire, lui, sa mère est une sorcière. Il a reçu l'héritage sacré. Il a le droit d'être à Poudlard. Personne n'est venu lui expliquer le monde de la magie quand il était petit, pas de visite d'un membre du Ministère, pas de visite de McGonagall. Je sais que c'était pas facile chez lui quand il était enfant. Je me souviens des pique-niques qu'on faisait tous les deux, sous le saule. Maman m'aidait à faire des sandwiches. Pétunia lui avait dit que Sev était "maigre comme un malade".

Pour qu'il y ait des Nés-Moldus, il faut des Moldus, Sev.

Mes yeux se relèvent vers les siens, plongent dedans, et j'ai à nouveau six ans. Le soleil de Carbone-les-Mines me lèche le visage, je sens l'odeur sucrée des gâteaux que j'aimais faire pour mon ami. Mes poings se desserrent, doucement. Je vois son sourire, difficile, mais sincère. La lumière qui se reflètent dans ses prunelles. Je sens la fleur se poser entre mes doigts.

Je ne me retiens pas. D'un geste, je me lève et passe mes bras autour du cou du brun. Ca me fait trop mal d'être fâchée contre lui. Je m'attends à me faire repousser à tout instant. Alors rapidement, je m'éloigne et reste debout, à quelques centimètres de lui. La tête levée, les yeux dans les siens.

Je suis désolée.