Un 9 a les 3 dans un chaudron - ft. Severus

En cette fin du mois de septembre, les digitales pourpres sur le bureau du professeur Trinder ont laissé place à un voltiflor en pot. Le maître des nombres a beau être un jardinier et un horticulteur hors pair, il ne peut pas tricher davantage et lutter contre Mère Nature ; ses fleurs préférées ne refleuriront qu'au printemps prochain et, pour cet automne, il devra se contenter de cette plante d'agrément ridicule, semblable à la tentacula vénéneuse... Le côté vénéneux en moins.

Lorsque retentit la fin du cours, c'est un soulagement partagé entre élèves et professeur. Quelle idée saugrenue que de devoir faire cours aussi tard ? Une heure à peine avant le dîner ! A ce moment de la journée, le cerveau des adolescents se situe au niveau de leurs estomacs affamés et la fatigue accumulée tout au long de la journée les prive du peu de réflexion qu'ils possèdent encore. Clement n'est pas plus en forme, une migraine le torture depuis le début de l'après-midi et il n'attend plus que l'instant libérateur où il pourra s'enfermer dans le noir et le silence le plus complet !

Une chance, ses cours ne se font jamais en grand comité et les élèves qui choisissent arithmancie en option le font généralement par intérêt... Clement évite donc d'avoir trop de fauteurs de troubles dans sa classe et, par conséquent, trop de bruit.

« A partir de la semaine prochaine et jusqu'aux vacances de Noël, annonça-t-il pour conclure la leçon du jour, nous nous intéresserons à l'Arithmancie chinoise. Pour la prochaine fois, vous lirez le chapitre 1 du Livre des Nombres. »

Il balaye rapidement ses élèves du regard, puis les congédie d'un léger signe de la tête.

« Bonne soirée à tous et à toutes, nous nous reverrons au dîner. »

Enfin libérés, les élèves de sixième année - toutes maisons confondues - rassemblent leurs affaires et se dirigent vers la sortie. Tous, sauf un.

Clement n'y fait pas vraiment attention au début. Il se détourne et récupère l'éponge qui lui servira à effacer les savants calculs qui recouvrent le tableau noir. Il s'autorise un soupir et masse du bout des doigts son front douloureux. Un point en particulier le fait grimacer, là, juste en haut de l'arrête du nez, entre les sourcils. Le troisième œil ! clamait sa professeur de divination. Une belle connerie, ouais, songeait-il en silence.

C'est en sentant une présence dans la pièce que le professeur Trinder jette un coup d'œil par dessus son épaule. Sans surprise, son regard se pose sur le jeune Severus Snape. Pas besoin d'être legilimens pour deviner ses pensées, le connaître suffit à lire sur son visage les questions qui le tracassent et les demandes qu'il n'ose formuler. Clement avise la porte du coin de l'œil et ce n'est que lorsqu'il s'est assuré que tous les élèves sont partis qu'il reporte son attention sur son élève favori. Il a même l'ombre d'un sourire.

« Approchez, Severus. »

D'un signe de la main, il l'invite à le rejoindre près de son bureau.

« En quoi puis-je vous aider ce coup-ci ? »

Ce serait mentir que de nier l'évidence. Un bon professeur ne fait pas de distinction entre ses élèves - il n'est pas censé en faire - mais tout enseignant reste avant tout un humain avec des sentiments ; et si Clement tâche toujours de cacher les siens, il ne peut que reconnaitre qu'il a des préférences. Severus Snape est un jeune garçon à l'esprit vif, talentueux, évidemment, mais surtout studieux, appliqué et déterminé. Le genre de jeune homme qui peut aller très loin, à condition d'être bien guidé.

Clement n'a pas assez d'estime en lui-même pour se considérer comme le guide idéal, mais il fait de son mieux. Il a envie de bien faire. Ce garçon touche sa corde sensible, certains de ses déboires lui rappelle sa propre jeunesse et, oui, c'est peut-être cela qui expliquerait cet attachement étrange : ils se ressemblent.

A la différence près que, contrairement à son professeur, Severus n'est pas lâche.
Et que Clement lui souhaite de réussir là où il a échoué.

Revenant à son bureau pour faire face à son meilleur élève, il délaisse l'éponge non loin du voltiflor et écoute les interrogations du garçon avec attention. Cela lui arrache un sourire. Ses questions semblent bien enfantines et naïves, au premier abord, mais le professeur d'arithmancie se doute bien que son élève à quelque chose en tête, il le connait. Il lui offre un coup d'œil espiègle, entretenant le mystère. Que sait-il à propos des plantes d'invisibilité ?

« Bien des choses, il va vous falloir être un peu plus précis sur ce que vous voulez savoir. »

Mentalement, pourtant, il passe déjà en revue toutes les plantes et autres fleurs pouvant de près ou de loin résoudre le problème du jeune homme. L’amarante, par exemple, depuis les temps anciens des druides, concéderait l'invisibilité à ceux qui la portent en couronne. La fougère, chose pas si surprenante que ça si l'on considère que c'est une plante que personne ne voit et n'y fait attention, confère également ce dont merveilleux au travers de ses graines. Mais Severus soulève un point important.

« Et pourquoi n'y a-t-il pas de potions d'invisibilité ? » Le professeur a un sourire en coin. « Tout simplement car il existe déjà sorts pour cela : sort d’invisibilité, sort de désillusion… Les sorciers sont paresseux, peu d'entre eux se plaisent dans la concoction de potions quand il suffit d'un coup de baguette pour obtenir ce qu'ils désirent. »

Joignant le geste à la parole, le professeur d'Arithmancie tire sa propre baguette de la poche intérieure de sa veste. D'un simple geste du poignet, la porte se referme pour les préserver des oreilles indiscrètes. Chose faite, il range sa baguette tout en surveillant le jeune Snape du coin de l'œil.

Il a eu vent de l'altercation entre lui et James Potter l'an passé, et il sa mentalité d'éternel pessimiste angoissé de la vie le pousse à se questionner et à imaginer le pire. Il pose un regard presque paternel sur le jeune garçon. Un poil sévère, peut-être, terriblement curieux, mais surtout, inquiet. Il serait navrant qu'un élève comme lui sombre et emprunte le chemin sournois de la vengeance...

« Mais avant de vous en dire plus sur comment j’élaborerai cette potion, il me faut connaître vos motivations, Severus. »

(09/11/1976 - Salle d'arithmancie)

Les sorts ne sont pas aussi efficaces. Une réponse digne de Severus Snape et qui fait esquisser un sourire à Clement. Cet élève est plein de surprises, et doté de grandes connaissances. Son avenir est tout tracé, si l'on en croit les chiffres, et le chemin qui s'offre à lui est celui de l'ambition et de la détermination. Severus fera de grandes choses, le professeur d'Arithmancie n'en doute pas, puisqu'il sera motivé par une envie de marquer l'histoire. Tout ça dans un unique et simple chiffre 8.

Cette coïncidence se retrouve vite confirmer par les propos du jeune homme : voilà qu'il souhaite créer une potion d'invisibilité durable, pour être utile aux aurors. Clement hausse un sourcil, intrigué. Depuis le temps, il connait son élève et une telle excuse le surprend. Il ne doute pas de la volonté de Severus de vouloir créer quelque chose de nouveau et d'innovant, simplement, il doute que ce soit réellement pour aider les aurors. Les ambitions de son élève sont ailleurs.

Un petit sourire aux lèvres, cependant, il acquiesce. Son but n'est pas de la braquer, mais de comprendre et deviner ce qu'il manigance. Une potion d'invisibilité aurait bien des usages, certains plus néfastes que d'autres. Et s'il a confiance et espoir en son élève, il ne veut pas non plus lui donner les clefs qui le feront sombrer.

« Très certainement, mais c'est James Potter qui souhaite être auror, pas vous. Depuis le temps, je vous connais. »

Il contourne son bureau et s'y adosse un instant pour lui faire face. Ne laissant pas le meuble les séparer, il espère se mettre à son niveau, rompre cette limite professeur-élève, et ainsi lui rappeler qu'ils ne sont pas des ennemis. Et que Severus peut tout lui dire sans avoir à lui mentir.

Il laisse couler un blanc, plongeant ses yeux clairs dans ceux du jeune garçon. S'il avait été legilimens, il aurait obtenu les réponses à ses questions et à ses doutes sans sourciller. Mais il n'y aurait aucun intérêt à triompher de la sorte. Cela devait venir de Severus. Si Clement lui arrachait ce genre d'informations de force, il perdrait sa confiance.

Il fallait jouer autrement, faire un pas en avant. Ce devait être donnant-donnant.

« Concernant votre potion, cependant, je me pencherais plutôt sur les facultés des demiguises. Ces créatures sont terrifiantes, vous en conviendrez, mais leur pouvoir d’invisibilité fascinant. A feu doux, quelques poils dans une potion… Quatre, précise-t-il comme une évidence. Pour la stabilité, me semble intéressant. » Même lui doit le reconnaitre, il n'y a pas que des conneries dans ces délires numérologiques. Songeur, il poursuit sa réflexion en se grattant le menton. « Des feuilles ou des baies de mandragores, quelques graines… Non, le jus des graines de fougère. En quelle quantité, je ne sais pas encore. Mais voilà ce que j'essayerai à votre place. »

Cependant, il n'est pas satisfait de ce qu'il lui propose. C'est instinctif, il sait qu'il manque un ingrédient ou deux. Pas grand chose, mais cela changerait tout. Prenant une grande inspiration, il croise les bras et jette un dernier regard à son élève, derrière ses lunettes.

« Mais il faudrait quelque chose pour stabiliser tout cela. »

(09/11/1976 - Salle d'arithmancie)

Est-il vraiment surpris que son petit mensonge n’a pas fonctionné ? Pas vraiment. Le professeur Trinder savait comment s’y prendre avec l’adolescent comme un père qui connait parfaitement son fils. L’adolescent grimace quand son professeur prononce le nom de Potter et que celui-ci souhaite faire le métier d’auror. Il n’est guère surpris du choix de métier que James a choisi, c’était ça ou joueur de Quidditch au rabais.  Un lien père fils les lies tous les deux dans le plus grand des secrets sans que l’un d’eux n’ose confirmer ce lien. Ce lien qui se confirme quand Clément vient de contourner son bureau pour se mettre à son niveau, comme lorsqu’il se cachait entre les pots de mandragore pour apprendre à lire en première année et comme l’année dernière, après que Potter l’est humilié, qu’il s’est laissé aller dans les larmes, laissant exprimer sa douleur et sa peine d’avoir perdu la seule meilleure amie qui lui restait. Il ne l’avait, d’ailleurs, jamais vu dans une telle colère et ce jour-là, il avait compris qu’il agissait comme un père qui voulait défendre son enfant que d’un professeur qui serait juste contenté de l’écouter.

Les barrières autour de son cœur qu’il dresse au quotidien se fissurent un peu, laissant place à un visage un peu plus détendu, un peu moins dans la retenue. Plongeant son regard dans le sien, il écouta attentivement ce qu’il lui conseillerait de faire. C’est vrai que les demiguises, leurs poils, peuvent être excellent ingrédient pour commencer une base et qu’elle brûlerait vite sous un feu trop vif. Le regard de l’adolescent brilla d’admiration en l’entendant rémunéré les choix possibles pour sa potion, maintenant que le professeur lui a montré -une énième fois- sa confiance, il se devait expliquer la véritable raison de cette potion.

« Vous avez raison, ce n’est pas pour aider les aurors ou quelque d’autres. Je voudrais juste inventer une potion et que mon nom soit inscrit dans les livres de potion… »

Et pourtant, s’il savait que son nom allait être marqué dans les livres d’histoire grâce au fils de James Potter.

« Merci Professeur, vous m’avez déjà lancé dans une bonne voie, je pense. Je n’avais pas du tout réfléchi aux poils de demie-guises et l’importance des chiffres. Est-ce-que la couleur de la potion aura son importance ? Il faudrait, peut-être, que j’essaye de rendre la potion aussi transparente que de l’eau ? Pour la stabilité… »

Severus émit un petit soupir de réflexion, peut-être finir la potion avec un sortilège ou quelque chose du genre.

C'est imperceptible, discret comme la brise d'été, mais Clement sait que Severus baisse sa garde. Un esprit rationnel comme le leur ne peut pas l'expliquer, il le sent, c'est tout. C'est une force, un lien invisible qu'ils tissent soigneusement au fil du temps et qui les rapproche.

Lorsque Severus se confie sur le véritable but de cette petite entreprise, Clement est soulagé. Il a même un léger sourire. Severus est honnête avec lui, et il n'y a pas plus plaisant et rassurant que de se sentir dans une relation franche et sincère. Puis, il étouffe un rire et ferme les yeux pour acquiescer. Il décroise alors les bras et relève les yeux vers son élève.

« Voyons, Severus, n'en doutez jamais : votre nom sera inscrit dans les livres de potions, et dans l'Histoire. » Il n'en a jamais douté. « Ouvrez vous aux autres, apprenez à partager vos connaissances et votre passion, et vous pourriez même devenir un excellent professeur. »

Si seulement !

Il pourrait user de ses talents d'arithmancien pour prédire le destin du garçon et lui confirmer tout ça. Il l'a toujours fait ! Sur ses camarades de classe, sur ses collègues, sur ses élèves ; il s'est toujours entraîné à cette technique de divination en prenant son entourage comme cobaye. Puis, il suffisait de les observer et d'attendre un peu pour voir si cela se produisait vraiment ou si son analyse se révélait vraie. Evidemment, le but de la manœuvre était de prouver que tout cela était faux, que la divination était une science hasardeuse et clouer le nez de ses professeurs. Malheureusement, difficile de combattre l'effet Barnum et les coïncidences. Et les déceptions. Son côté le plus rêveur voulait y croire et espérer des miracles, son côté perfectionniste voulait vérifier que tout se déroulerait comme il l'avait décidé. Combien de fois avait-il tenter sa chance en espérant que les chiffres soient de son côté et qu'ils approuvent les choix de son cœur ? Trop de fois, mais la jolie May lui échappait tout le temps.

Concernant Severus, il n'oserait pas. C'était trop personnel - c'est fou tout ce que l'on peut découvrir sur une personne en analysant simplement son nom et sa date de naissance ! - il ne se mêlerait jamais de l'intimité de son élève sans son accord. Et puis, lui dire tout cela, que ce soit positif ou non, le bloquerait dans une idée fixe, il suivrait inconsciemment ces "prédictions" et il ne serait plus vraiment libre de son destin. Mieux valait le laisser faire. Et l'encourager à devenir la meilleure version de lui-même.

Clement chasse tout ça de ses pensées - la tentation n'est jamais trop loin - et préfère se concentrer sur la discussion. Les suppositions de son élève sur sa future potion se révèlent justes et judicieuses. Le professeur acquiesce une nouvelle fois et remonte de l'index les lunettes qui glissent sur son nez. Il devra penser à les resserrer.

« C'est une idée intéressante, en effet. L'ajout des baies de mandragore rendra sans doute votre potion verte ou orange. En fonction de la couleur, il vous faudra remuer la potion dans le sens horaire ou anti-horaire pour retrouver un liquide plus transparent... Je vous laisse trouver le bon nombre de fois. »

Il a un fin sourire, l'ombre d'un amusement, lorsqu'il se permet de le défier de la sorte. Il a hâte, au fond, que Severus tente de mettre au point cette potion et qu'il revienne lui apporter les résultats victorieux de ses expériences. C'est un petit plaisir coupable, il sait bien qu'il n'a aucune légitimité d'être heureux pour cela, mais lorsqu'il voit son élève réussir quelque chose de complexe et qui le passionne, il en est fier. Comme le serait un père.

Il se redresse finalement pour une dernière petite leçon privée et glisse ses mains dans ses poches.

« Et n'oubliez jamais les chiffres, Severus, ils sont importants. Ce sont eux qui régissent notre... Univers. » Il ponctue sa phrase d'un vague geste de la main pour désigner le "vide" qui les entoure, ce fameux "univers". « En cuisine ou pour la préparation de potions, dosage et quantité doivent être les plus importants. »

(09/11/1976 - Salle d'arithmancie)

Severus fixe son professeur qui affirme que son nom rentrera dans les livres de potions et, également, dans les livres l’Histoire. Il n'en demandait pas tant. La célébrité est bien quelque chose qu’il aimerait éviter, tous les regards, toute cette attention sur lui le gênerait, voir l’agacerait. Il en doute très fort. S’il pouvait être reconnu pour ses découvertes par des passionnés et des professionnels que lui, il en serait très satisfait. Il détourne les yeux quand il lui explique qu’il faudrait s’ouvrir aux autres et de partager ses connaissances, sa passion… et devenir professeur ? Lui ? Vraiment ? Vu le niveau actuel des élèves et même certains des professeurs, il n’avait pas grand espoir d’inculquer quoique ce soit d’intéressant et de constructif aux progénitures de ses camarades de classes. Rien d’imaginé d’être forcé à donner un cours au gamin de Potter ou de Black, celui du grand-frère, Regulus, lui semble-t-il avoir hérité du cerveau avec les matières grises inclus.

« Vu le niveau de cette école concernant les potions se révèle du niveau de la maternelle, je ne pense pas qu’enseigner à une bande de cornichons de la génération suivante serait pertinent, ça serait une perte de temps et d’énergie, même. »

Perdu dans ses pensées, il prend en compte les recommandations du professeur. Il croise les bras, son visage se serre en une intense réflexion. Peut-être, oui. Les feuilles de mandragores sont souvent requis dans des potions délicates, il réfléchit à quel chiffre serait le plus important pour cette potion, l’anti-horaire serait sûrement efficace pour donner l’intention de “cacher”, de “retourner”.  

« Monsieur, comment quelqu’un d’aussi passionné et intelligent comme vous est devenu professeur à Poudlard ? Vous auriez pu consacrer votre énergie à faire avancer la botanique, voyagez partout dans le monde à la recherche de plantes encore inconnu à ce jour. »

Quel terrifiant constat. Severus est si jeune et déjà plus aigri que lui ! Tellement plus pessimiste. Oh, le franc parler du jeune homme lui arrache un sourire et Clement est bien obligé de reconnaître que Slughorn doit s'arracher les cheveux avec des élèves pareils... Mais quand même !

« Oh ? Vraiment ? » Il tâche de réprimer son air amusé, mais son sourire le trahit. « Alors, étant donné que la moitié de mes élèves ne savent pas faire des aditions sans se tromper, je devrais abandonner l'idée d'enseigner l'art de l'arithmancie à ces incapables ? »

Question quelque peu rhétorique, mais il veut surtout pousser Severus à la réflexion pour lui ouvrir d'autres horizons. Pas le convaincre, le jeune Snape est assez intelligent pour voir les choses autrement. De plus, le point de vue de son élève est toujours intéressant à entendre, ne serait-ce que pour le comprendre. De son côté, Clement Trinder ne changera pas d'avis. Il aurait fait un bien mauvais professeur s'il avait abandonné Severus à son triste sort dès la première année avec pour seule excuse le fait que le petit garçon caché entre les mandragores ne savait ni lire ni écrire ni compter. Il n'y a qu'à regarder où Severus en est aujourd'hui pour se convaincre d'avoir fait le bon choix. Son parcours est impressionnant et la route qui s'offre à lui magistrale.

Clement abandonne son élève à ses réflexions. Et il est bien surpris quand il reprend la parole... S'il s'attendait à recevoir de tels compliments ! Le professeur Trinder est surpris, embarrassé même, et il se racle la gorge pour espérer se ressaisir.

Severus marque un point - un cruel point. Que répondre à cela ? Comment expliquer la médiocrité de son existence à un élève qui semble l'admirer ? Il ne faudrait pas lui mentir... Il ne faudrait pas le décevoir.

Alors, pourquoi ? Comment en est-il arrivé là ?

Le destin ? Non, Clement est lâche, mais pas assez pour se cacher derrière un principe qu'il déteste plus que tout. Le destin n'existe pas, ce sont les hommes qui décident et contrôlent leurs avenir. Clement a simplement décidé de ne rien faire, d'abandonner. Sur le moment, désemparé, il ne voyait pas d'autre solution et, aujourd'hui, c'est bien plus simple de se complaire dans un quotidien morne et fade plutôt que d'essayer de s'en sortir. Faire des efforts, prendre des risques, cela n'a jamais été sa tasse de thé. Il n'en a pas le courage. Pas la motivation.

Il soupire. Il se désespère lui-même.

« C'est une question compliquée que vous me posez, Severus. »

Cela aurait été quelqu'un d'autre, Clement aurait été vexé. Il croise les bras et cherche ses mots.

« Peut-être que je n'ai pas saisi ma chance, tout simplement. » Peut-être que je n'ai pas voulu la saisir. « Peut-être que j'ai fait les mauvais choix... J'aurais pu, vous savez ? Madame Duchesne, ma collègue de Beauxbâtons, parlait comme vous et m'inventait un avenir glorieux. »

Il baisse un instant les yeux, le regard brillant de nostalgie. Ah ! Les serres de Beauxbâtons ! Si seulement il pouvait les montrer un jour à son élève ! Il lui présenterait sa professeure, mentor et amie, certain qu'ils auraient beaucoup de choses à se dire et à partager, comme elle avait pu le faire avec lui.

A cette pensée, il trouve une explication à sa présence ici. Ou, du moins, une raison de poursuivre dans cette voie-là et de ne pas abandonner maintenant.

Il relève les yeux vers Severus.

« Mais peut-être que c'est une chance que je sois ici, et que je vous empêche de commettre ces mêmes erreurs.  »

(09/11/1976 - Salle d'arithmancie)

La réflexion du professeur le fait prendre conscience qu'il a pris de haut les élèves, mais ce n'est pas pour autant qu'il aille se sentir désolé. Au contraire, cela confirme qu'il est sous-estime autant qu'ils sont, il y a de très rares camarades qui semble être à la hauteur de ce qu'il attend en termes de performance. S'il était professeur, il serait intransigeant, il le sait que trop bien puisqu'il est avec lui-même.

« Disons à enseigner à ceux qui le souhaitent vraiment, à un niveau universitaire, puisque que les élèves qui s'y inscrivent sont, déjà, intéressé par l'arithmancie, donc ils savent par avance additionner. »

Le professeur avait le don inouï de faire parler Severus, de le faire pousser à la réflexion. Il apprécie ces échanges parce qu'il ne sera pas jugé malgré la dureté de ses mots. Severus est encore cet adolescent dans lequel il voit son avenir sur le chemin de la grandeur, que rien ne puisse faire obstacle à la connaissance du savoir des arts occultes noires, faire partie de quelque chose de plus grand. Il ne comprend pas pourquoi les talents et la connaissance incroyable de son professeur soit aussi brimé et enfermé dans les quatre murs du château.

Severus s'attendait à ce qu'il lui donne un peu de rêve pour qu'il vive un peu par procuration, mais le professeur resta très terre à terre dans ces propos. C'était un rêve utopique pour lui, peut-être qu'il en avait tellement rêvé que des événements fâcheux dans sa vie lui ont fait radicalement changer le cours de son avenir ? Il se pince un peu les lèvres en réalisant qu'il a été trop loin avec sa question, terriblement déplacée et surtout d'avoir été trop curieux.

« Excusez-moi, professeur, je ne voulais pas me montrer si indiscret... »

Severus avait posé cette question comme un enfant aurait posé la question à son père. C'était ça un peu le piège de leur relation privilégiée. Le jeune homme abandonne toute forme de méfiance naturelle grâce à ce professeur qui savait comment s'y prendre pour lui parler, il ne sait plus vraiment où est la limite de ce qu'il peut franchir ou non. Son côté rationnel à toutes épreuves lui dicte de rester droit, professionnel afin d'éviter tout débordement d'affection, mais son cœur, lui, réclame la tendresse, l'affection et l'attention qu'il n'a pas reçu durant l'enfance et que Clément répond à tous ses besoins de carences affectives. Encore une fois, le Professeur explique avec toute sa bonté un peu de son enfance à Beauxbâtons.

Quand il relève les yeux vers lui, Severus ne détourna pas le regard, toujours captivé par ses paroles.

« Mais peut-être que c'est une chance que je sois ici, et que je vous empêche de commettre ces mêmes erreurs. »

L'adolescent leva un sourcil. Quelles erreurs ? L'erreur qui lui ferait de ne pas prendre de bonnes décisions ? Comment savoir si le chemin qu'il va prendre risque d'être la bonne route à suivre ? Les erreurs ne sont-ils pas là pour justement d'apprendre et de reprendre une autre route plus saine ? Dans le doute, il préfère demander.

« Vous croyez que je prends de mauvais choix ? »

Severus se révèle intransigeant, un trait de caractère qui ne surprend qu'à peine son professeur. Il comprend le point de vue de son élève, puisque c'est encore une chose qu'ils partagent : la rigueur, la quête de perfection, pour les autres comme pour eux-mêmes.

« Réserver vos connaissances à ceux qui le méritent et qui sont assez compétents pour en saisir la subtilité ? Pourquoi pas, après tout. »

La réflexion lui arrache l'ombre d'un sourire et il laisse la conversation dériver et prendre un autre chemin. Lorsque Severus s'excuse, Clement secoue gentiment la tête pour lui signifier que ce n’est pas grave et qu’il ne prend pas ombrage de la curiosité du garçon. Il l'est également, après tout.

Cependant, c'est bien vite à son tour de devoir présenter des excuses. Le pauvre professeur se sent bien bête quand il constate qu'il s'est encore une fois mal exprimé et qu'il n'a pas su exposer un sentiment pourtant très simple. Il n'a jamais voulu dire que Severus faisait de mauvais choix (même si l'on pourrait questionner ses choix amicaux et amoureux). Comme quand il avait douze ans, le professeur s'empresse de vouloir rattraper la situation avant qu'elle ne vire au drame.

« Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, excusez-moi. » Il a un petit rire gêné et se détache de son bureau pour en faire le tour. « Simplement que je commence à vous connaître et, je vous l'avoue, vous me rappelez moi à votre âge. »

A sa manière de se déprécier trop souvent, on peut croire que ce n'est pas une charmante comparaison... Et pourtant ! Il a beaucoup d'affection pour ce garçon. Et il en aura toujours.

Alors comment lui dire qu'il lui souhaite simplement de réussir ? Les mots sont simples, pourtant, il serait aisé de les prononcer. Clement range ses papiers et ses classeurs dans sa mallette, prenant gare à ne rien abîmer. Il vérifie qu'il a tout, de son étuis à lunettes à la photo de cette jolie brune insaisissable en passant par ses livres sur les nombres et les plantes, et referme son sac. Il aurait aimé pouvoir dire le fond de sa pensée avec autant de facilité. Comment peut-il aborder tous ces sujets sensibles sans blesser son élève ? Comment le prémunir du danger, comment le protéger ? Il a un dernier regard vers le voltiflor. Il ne peut décidément pas lui parler de Mulciber. Il ne peut pas se comporter avec Severus comme s'il était son père.

« Peut-être que c’est arrogant de ma part, ou déplacé, mais je ne souhaite pas vous voir échouer là où j’ai échoué. » C'est-à-dire sentimentalement, amicalement et professionnellement. En quelques mots : l'entièreté de son existence. « J'aimerai vous voir atteindre des sommets, parce que vous en êtes capable. »

D'un geste de la main, Clement l'invite à rejoindre la porte avec lui. L'heure du dîner approche et il est temps de couper court à cette discussion qui prend un tournant trop personnel.

(09/11/1976 - Salle d'arithmancie)

Il ne sait pas quoi vraiment penser quand son professeur lui dit qu'il lu rappelle lui à son âge. En fait, ça lui fait très plaisir, et il ne le sait pas encore mais les encouragements et les conseils de Clément lui sont très précieux. Il avait bien conscient qu'il recherche, quelque part, un père de substitution, un exemple à suivre. Il affiche un petit sourire tordu ravi, fier de savoir qu'ils sont semblable.

je ne souhaite pas vous voir échouer là où j’ai échoué. Severus ne le quitte pas du regard, il s'attend à ce qu'il en dit davantage mais il n'a rien de tout ça, juste le souhait de le voir atteindre des sommets. Il atteindra des sommets, il se voit déjà un puissant sorcier, il a confiance à son intelligence et ses capacités de facilités de créations de sort, de potaniste et il veut s'améliorer en défense contre les forces du mal. Il ne se doute pas une seule seconde que son souhait est en train de se réaliser mais il s'attendra pas au sacrifice qu'il fera dans quelques années.

Et sans plus de cérémonie, il le suit jusqu'à la sortie. Encore plus confiant à son avenir.